Une semaine que je marche …
Je marche, oui, tant je n’ai rien fait d’autre.
Un rituel quasi monastique : lever avant le soleil, confection du sac sur lequel j’attache la tente; prière de l’aube puis … marche … marche dans cette vallée sans horizon … marche tête-baissée … marche avec pour seul but : mon lieu de couchage. J’ai opté pour le camping, moins onéreux et offrant une plus grande liberté.
Une fois le but atteint, un nouveau rituel m’attend, cette fois, digne de celui d’une femme d’intérieur : confection de ma couche, lessive, douche et pédicure (Ah ! Ces pieds !), confection du repas.
Et après ?
Je marche encore … mais dans ma tête.
Aucune visite (église, monument, …), aucune photo (obnubilé par le cliché et son effet à venir, elle m’empêcherait de goûter l’instant présent) : je ne suis décidément pas un touriste.
Aucun tampon sur mon crédencial, sinon celui des campings : je ne suis pas un pèlerin non plus.
Aucune rencontre, le camping ne s’y prêtant guère : je ne suis pas …
Ah si, j’allais l’oublier !
Une rencontre.
Une rencontre extraordinaire et pourtant tellement banale. Extraordinaire parce que coutumière, peut-être. Extraordinaire parce que, jusque-là, l’habitude m’enfermait dans ma soi-disant connaissance : nous méconnaissons ce qui nous est le plus commun.
Une rencontre pour laquelle il me faut faire preuve de la plus grande indulgence, de la plus grande compassion, voire du plus grand pardon.
On m’a souhaité, en empruntant ce chemin, de belles rencontres. C’est loupé ! Le pluriel est de trop et la beauté n’est pas de mise.
Chaque jour, c’est avec moi que je marche.
Chaque jour, c’est Pascal que je rencontre.
Chaque jour c’est un autre moi qui m’accompagne.
C’est fou tout ce qui se passe dans la tête d’un marcheur.
Comme si, plus on gravissait des sommets, plus on descendait au plus profond de soi. Pourquoi tous ces freins physiques et psychiques lors de l’ascension du Col du Bonhomme ? Je quittais définitivement le territoire de “ma” paroisse : Quelle prétention ! Quel désir de possession ! “Ma” paroisse ?!
Comme si le fond, notre fond d’être, montait à la surface.
Pourquoi tant de pensées refont surface ?
Je me surprends à faire cette analogie avec la prière. Le plus important dans la prière, ce sont les distractions !!! Combien m’ont confié, voire confessé, leurs égarements durant leur temps de prière. “Mon Père, vous vous rendez compte … pendant l’office !”
Bienheureuses distractions !
Nous avons tous fait cette expérience. Elle ne doit ni nous effrayer, ni nous culpabiliser. Ces pensées, quelles qu’elles soient -les plus tordues parfois- n’auraient jamais émergé sans ce silence, ce silence intérieur, sans cette rencontre en Dieu, sans cette descente au plus profond de soi.
Se confronter à soi-même pour vivre libre. Combien de boulets croupissent dans notre “mer intérieure”, ne demandant qu’à émerger ?
Je ne peux m’empêcher de laisser résonner en moi cette légende ou parabole rapportée par Dom André Louf, et citée de mémoire, je n’ai emporté aucun livre sinon la Bible :
” St Jérôme bénéficie d’une vision du Christ. Ce dernier lui demande : – Qu’as-tu à m’offrir Jérôme ?
– Ma longue récitation des psaumes, mes prières, je te les offre, Seigneur.
– Merci Jérôme. Qu’as-tu d’autre à m’offrir ?
– Tout mon travail de traduction (Jérôme a traduit la bible en latin), je te l’offre, Seigneur.
– Merci Jérôme. Qu’as-tu d’autre à m’offrir ?
– Toute mon ascèse, mes jeûnes, mes longues veilles, … je te les offre, Seigneur.
– Merci Jérôme. Qu’as-tu d’autre encore à m’offrir ?
– Seigneur, je t’ai tout donné.
– Non, Jérôme, donne-moi tes péchés que je puisse te les pardonner !”
Le plus grave péché : croire ne pas avoir besoin de pardon ou avoir la prétention de se connaître.
Notre Père Socrate avait raison : “Connais-toi toi-même et tu connaitras l’Univers et les dieux”
Accepter que Dieu seul puisse nous révéler à nous-mêmes :
“Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que lors de cette manifestation nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est.” (1ère épître de Jean 3,2)
Plus je gravis les sommets, plus je descends en moi …
Plus je marche vers un ailleurs, plus je me découvre …
Mise a jour le 27.06.2024