Pourquoi la péricope évangélique de la femme adultère comme message pascal ?
1. Ce texte était proposé à notre méditation le 5ème dimanche de Carême
2. Tous les textes évangéliques sont écrits à la lumière de Pâques : ils constituent donc une relecture pascale de notre vie.
3. Cette relecture nous déplace dans nos habitudes et nous emmène au cœur de la nouveauté évangélique.
En ce temps-là, Jésus s’en alla au mont des Oliviers.
Dès l’aurore, il retourna au Temple.
Comme tout le peuple venait à lui, il s’assit et se mit à enseigner.
Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu’on avait surprise en situation d’adultère.
Ils la mettent au milieu, et disent à Jésus :
« Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère.
Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là.
Et toi, que dis-tu ? »
Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser.
Mais Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre.
Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit :
« Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. »
Il se baissa de nouveau et il écrivait sur la terre.
Eux, après avoir entendu cela, s’en allaient un par un, en commençant par les plus âgés.
Jésus resta seul avec la femme toujours là au milieu.
Il se redressa et lui demanda :
« Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? »
Elle répondit :
« Personne, Seigneur. »
Et Jésus lui dit :
« Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. »
(Evangile de Jean 8, 1-11)
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JETER LA PIERRE DE NOTRE HYPOCRISIE
… OU ACCEPTER LA NOUVEAUTÉ ÉVANGÉLIQUE
Un autre regard …
Jésus semble pris au piège que lui tendent les scribes et les pharisiens.
Soit il se met hors-la-loi, en transgressant la loi mosaïque, soit il se contredit lui-même en refusant le pardon dont il a fait le centre de son enseignement.
Et pourtant …
Et pourtant le rédacteur de ce passage fait triompher la justice, l’équité et la responsabilisation de chacun : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. »
Ce texte, comme tous les textes bibliques, ouvre le lecteur à une dimension symbolique : Même si le contexte historique donne du poids au message véhiculé, que cet évènement ou cette rencontre aient une réalité historique ou pas, peu importe : il s'agit ici d'une radioscopie du présent. La nouveauté évangélique ne résiderait-elle pas dans le fait qu’un auteur du Ier siècle ose présenter le Christ comme remettant en cause toutes les conventions rituelles, religieuses et culturelles au nom de l’égalité entre hommes et femmes. Nous ne sommes qu’au Ier siècle et dans une société patriarcale !
Ce regard juste du Christ sur cette femme, ce regard qui relève et qui redresse appelle celui de ses auditeurs d'alors et de ses lecteurs aujourd'hui : un regard juste, lucide et clairvoyant sur soi, sur les autres, sur le monde.
La lecture de cette péricope évangélique, nous invite donc à une double démarche symbolique : laisser la pierre de notre hypocrisie et de notre suffisance et accepter l’épreuve de la terre.
Laisser la pierre de notre hypocrisie …
Aucune présence de l’homme complice de cet adultère. La femme est seule face à ces accusateurs. Ces derniers la maintiennent et la réduisent comme « objet », propriété privée de son mari.
Enfermée dans cette vision sexiste, elle aspire à ce que l’on pose sur elle un autre regard.
Jésus se redresse ; ses yeux quitte le sol pour se poser sur elle.
Il lui ouvre un avenir : « Je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. »
L’évangéliste fait éclater la nouveauté évangélique que Paul reprendra dans son épître aux Galates : « En Christ, il n’y a plus ni juif ni païen, ni maître ni esclave, ni homme ni femme, … » (Ga 3,28)
Le Christ abat toutes les barrières : religieuses, sociales et sexuelles.
Et dire que, aujourd’hui en 2016, on réfléchit dans l’Eglise Catholique sur l’opportunité que des laïcs et, osons l’avouer, des femmes ! puissent assurer l’homélie (cf. LA CROIX du 08.03.2016)
« Je suis persuadé que l’on peut accorder aux femmes une place plus importante dans la vie de l’Eglise sans pour autant procéder à une « cléricalisation » des laïcs. Que les femmes soient plus présentes dans la liturgie, c’est très bien. Une récente décision du Pape François illustre d’ailleurs cette volonté : en janvier dernier il a publié un décret précisant que le Jeudi saint, le prêtre pourra désormais laver les pieds de douze personnes « hommes et femmes », et plus uniquement des hommes comme avant. Sans doute verrons-nous, lors du prochain Jeudi saint, de nombreuses femmes présentes à ces lavements des pieds. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est significatif. »
(P. Olivier de Cagny, curé de la paroisse Saint-Louis-en-l’Ile - Paris LA CROIX 08.03.2016)
Les femmes peuvent se faire laver les pieds, pourvu qu’elles ne parlent pas !
Heureusement que nous n’avons pas attendu ce décret !
Quand j’étais en charge d’une paroisse, femmes et hommes participaient au lavement des pieds, prenaient en charge l’homélie et présidaient certaines célébrations (je me rappelle avec bonheur, la prédication d’une femme lors de la célébration des Cendres) .
Nous sommes dans une démarche symbolique, sacramentelle et non dans un mime : quelle hypocrisie de laisser entendre que le ministère est réservé aux hommes . Ce n’est pas le sexe du ministre –même pas l’imposition des mains !- qui garantit la qualité de l’homélie, mais la formation, la qualité d’écoute et la capacité à faire résonner la Parole.
Nous n’avons rien à envier à nos frères islamistes radicaux, chez lesquels nous dénonçons facilement le statut réservé aux femmes !!!
L’expérience de la terre …
« Mais Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre … »
Ce geste symbolique de Jésus a fait couler beaucoup d’encre, donnant cours à de nombreuses interprétations : Le lien à la terre dont a été formé l’Homme dans la tradition biblique ... La condamnation de ceux qui se détournent de Dieu, dans le Livre de Jérémie : « Tous ceux qui t’abandonnent seront confondus. –Ceux qui se détournent de moi seront inscrits sur la terre" (Jr 17,13) ... Le silence nécessaire à la réflexion que s'impose Jésus avant sa prise de parole ...
Cette pluralité d'interprétations nous redit combien ce texte est vivant. Se laisser toucher par l'une ou l'autre interprétation sans choisir ni absolutiser l'une plus qu'une autre : cela reviendrait à figer ce texte.
Pour ma part, j'aime à penser que le rédacteur de ce texte invite, dans ce geste symbolique qu'il fait poser par le Christ, chaque lecteur à un retour sur soi, à l'expérience de la terre.
Après avoir posé un regard juste sur cette femme "qui suis-je pour te condamner ?" (Il n'a jamais condamné le pêcheur mais le péché), le Christ invite chacun des accusateurs à poser ce même regard sur lui-même "qui es-tu pour juger cette femme ?"
Cet appel non déguisé au retour sur soi ne peut passer que par l'expérience de la terre, notre origine commune, dont nous sommes tous pétris. En ces fêtes de Pâques, cette descente dans la terre, symbolisée par la mise au tombeau, exige trois questionnements : -ce que j'ai été ? -ce que je suis ? -ce à quoi j'aspire ? Quel vieil homme je désire laisser aux entrailles de la terre ? Quel homme nouveau je désire revêtir ?
Cette introspection, elle seule, me permettra de renaître.
Cette introspection, elle seule, me permettra de poser sur moi un regard clairvoyant.
Cette introspection, elle seule, me permettra d'acquérir ce regard juste sur les êtres, sur les choses, sur le monde.
Célébrer Pâques en omettant ce passage par la terre pour revisiter et réajuster nos positions, voire nos postures, nos préjugés et nos principes trop souvent édictés en dogmes rendra la mort et la résurrection du Christ vaines ...
"Et si Christ n`est pas ressuscité, notre prédication est donc vaine, et votre foi aussi est vaine." (1 Co 15,14)
Mise a jour le 27.06.2024